Après le naufrage de migrants au large des côtes grecques le 13 juin 2023, des questions demeurent quant au partage des responsabilités entre l'agence Frontex et les États membres de l'UE. Quel avenir pour la règlementation migratoire européenne et la coordination entre les États membres ?
- Virginie Guiraudon, directrice de recherche au CNRS, en poste au centre d'études Européennes à Sciences Po Paris
- Tania Racho, docteure en droit européen, chercheuse associée à l'IEDP de Paris-Saclay, directrice des formations du site Les surligneurs.eu
- Thomaïs Papaïoannou, journaliste, correspondante de la Télévision publique grecque, l'ERT
Il y a trois semaines, une embarcation partie de Libye coulait au large de la Grèce, alors qu’elle transportait entre 400 et 750 migrants. Devant ce drame, un débat est né entre les autorités grecques et l’agence européenne de protection des frontières Frontex, car celle-ci affirme avoir proposé son aide aux garde-côtes grecs qui l’auraient refusée.
Or Frontex a longtemps été accusée d’être tolérante vis-à-vis de certaines politiques dites de 'pushback' mises en œuvre par la Grèce. Des politiques qui consistent, à l’opposé du droit humanitaire, à conduire les bateaux de migrants hors des eaux territoriales du pays européen concerné et de leur suggérer de repartir vers leur point de départ, en Afrique ou en Turquie. Qui règle le rapport entre les États européens en première ligne face aux réfugiés et les autorités européennes de la migration et de sécurité des frontières ?
Emmanuel Laurentin reçoit Virginie Guiraudon, politiste, directrice de recherche au CNRS, en poste au Centre d’Études
européennes à Sciences Po Paris, Tania Racho, docteure en droit européen, chercheuse associée à l’Université Paris-Saclay et consultante chargée de projet pour Désinfox Migrations et Thomaïs Papaïoannou, journaliste, correspondante de la télévision publique grecque, l’ERT.
Frontex et les États membres : une coordination complexe
"Frontex est une agence européenne", rappelle Virginie Guiraudon, directrice de recherche au CNRS, en poste au Centre d'Études européennes à Sciences Po Paris. "Au quotidien, il y a un conseil d’administration qui élit le directeur, et ce conseil d’administration est composé de représentants des États membres et deux de la Commission européenne. Enfin, dans l'agence, une personne est censée s’occuper des droits fondamentaux. Frontex est donc une agence qui suit tout à fait les États membres", conclut la politiste.
Thomaïs Papaïoannou, correspondante de la Télévision publique grecque, l'ERT, rappelle pour sa part que "lorsque les agents de Frontex sont sur le terrain, ils se rendent compte de la complexité de l’application théorique de leur mission". Ces derniers doivent en effet travailler "avec les Turcs et les Grecs, faire appliquer les traités, tout en s’adaptant aux manques de moyens des États et aux contextes politiques locaux". En particulier, "le gouvernement grec est un gouvernement de droite qui mise sur la répression du flux migratoire, et Frontex doit composer avec cette donnée".
La journaliste rappelle que "l'extrême droite compte pour 13 % du parlement grec" et que "ce naufrage a divisé le pays en pleine période d’élections. Les jeunes sont favorables à l’accueil des migrants mais la majorité de la population y est réticente parce qu'elle considère que la politique migratoire européenne ne fonctionne pas et que ces arrivées créent un certain nombre de problèmes, surtout sur les îles".
La docteure en droit européen Tania Racho souligne pour sa part que "le contexte global n’est pas du tout favorable à un changement de positionnement dans le cadre de l’Union européenne". Elle précise : "On reste ferme dans une nécessite de fermer les frontières. Mais du côté de Frontex, il y a quand même quelques inflexions : le nouveau directeur exécutif Hans Leijtens s’est prononcé en disant qu'il souhaitait sauver ces migrants et aider le gouvernement grec. Le risque est cependant le retrait de Frontex, ce qui est déjà arrivé en Hongrie par le passé".
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La responsabilité des naufrages en question
Tania Racho rappelle que "Frontex est une agence", et qu’en ce sens, "la responsabilité prévue dans le règlement est politique et non pas juridique". Dès lors, dans le cas d’opérations en mer, "la responsabilité va toujours peser sur l'État membre hôte, en l'occurrence la Grèce". La question se pose alors de savoir pourquoi la Commission européenne ne poursuit pas la Grèce en justice. "Le Pacte Asile et Immigration étant en débat actuellement au niveau européen, la Commission a probablement estimé qu’il n’était pas judicieux de poursuivre la Grèce".
La chercheuse précise que "le Pacte Asile et Immigration, dont quelques mesures devraient être présentées avant le renouvellement du parlement en 2024, est désormais clairement orienté vers le triage à la frontière. C’est-à-dire que parmi les personnes qui arrivent de façon irrégulière à la frontière, tous n’ont pas vocation à être réfugiés. On crée donc des procédures de tri à la frontière alors même que dans l’élaboration originale du Pacte, en 2020, il y avait en débat la possibilité d’ouvrir davantage de voies légales d’arrivées".
Virginie Guiraudon ajoute que "même si Frontex et les États membres ne remplissent pas correctement leurs missions et que l'affaire passe effectivement devant les tribunaux des pays ou par un recours devant la Cour de justice européenne, ces procès prennent des années, d’où l’importance du principe d'accountability’, qui consiste à devoir rendre des comptes aux institutions".
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